Elle laisse derrière elle le vécu, les années bien remplies. Elle entre dans le texte par le chemin léger d'adolescence. Elle porte au regard ce ciel puissant des étés en Provence. Les vignes de son enfance, les murs de pierre, les haies de cyprès, l'intact décor de son village et un rêve fou, l'accompagnent. À l'angle d'une maison qu'elle connaît bien, elle s'assoit, la touffeur sèche de juillet lui tient compagnie. Elle reconnaît l'odeur de la campagne environnante, le quotidien qui célèbre son cours. Des bruissements de voix lui parviennent, la bande d'amis festifs, joyeux, n'est pas très loin. Le cœur s'emballe. Elle sait une main sur la sienne, une voiture, neuve et rouge comme son rêve, un baiser attendu, jamais volé, le secret d'un prénom jamais oublié, les rires, les espoirs, l'amie d'enfance si présente, les demains à inventer. Une insouciance. Quelque chose la saisit dont elle sait l'empreinte. Soudain elle a quinze ans et le vertige. Les chants, les fêtes, les joies, les yeux, les gestes, les vies élançant leur jeunesse, qui s'en souvient encore aujourd'hui ? Que fait-elle seule au milieu des phrases à croire qu'elle n'y est pas seule ? Que fait-elle, ici, à rêver encore, plus haut que la raison ? Un Mistral se lève, il bouscule les images, les oiseaux se taisent, il est temps de rentrer. Elle voudrait dire encore, plus, mieux. Elle ne dira pas. Maladroite, elle quitte le texte sur la pointe des mots, un rêve timide en sa dernière ligne.
Ile Eniger - L'ordinaire des anges - (à paraître)