Depuis ton départ vers je ne sais où, j'éprouve le gouffre de cette phrase : Je ne te verrai plus. Tu as tout emporté, les fleurs toutes saisons, la femme irradiante, les mas de terres pleines, les paysans puissants, les ports voilés de blanc, les coupes juteuses de fruits. Ta créativité ne jaillira plus sous ta main. L'absence n'a pas de main. Ni de chaleur. Ni de partage. Ton atelier n'existe plus. La maladie et la mort l'ont pillé. La foudre est tombée. Elle a crevassé le chemin solaire. Mais je veille, sans injonction, solution, direction. Du lever au coucher du soleil, je marche cet espace à remplir d'amour. Je vais de silences en gestes, et je recommence. Dans la déferlante des opinions, je ne crois qu'à la main tendue pour la vie, toutes les vies. Je suis à l'essentiel. Vieille terre refuge d'oiseaux, amandier sauvage sur l'hiver, dans la bienveillance des jours et nuits, je suis seule, debout, gardienne d'un amour invincible. C'est ma revanche sur l'Inacceptable.
Ile Eniger - L'ordinaire des anges (à paraître)