Contrairement à une croyance qui rendrait la poésie dépendante de nos regards pour exister, je crois qu’elle n’a besoin de personne pour être.
Sa permanence, en amont et aval de toute chose, dépasse ce que l’on peut en penser ou en dire. Préexistante à la pensée et à l’acte, la poésie est un état, une source illimitée dans laquelle chacun peut puiser.
Écrire "joli" me semble un leurre pour s’attirer la faveur du lecteur, et se servir de ce trompe-l’œil pour plaire est une trahison de soi et de l’art poétique. Aucune manigance ne devrait entacher la création.
La poésie m’est source, non moyen, elle est, et je n’en suis que le rapporteur à travers un regard.
Il y a autant de facettes que d’auteurs, et plusieurs facettes par auteur, dans cette multitude, l’ouvrage poétique devrait consister à mêler absolu et matière sans subterfuge ni artefacts.
Écrire m’est un parcours solitaire engageant humilité, personnalité et travail.
La poésie est native, le poète n’en est que l’outil qui donne à voir. Funambule, je choisis ma hauteur, ma traversée, mon risque. C’est ainsi qu’à partir de l’omniprésence du concept poétique, mes textes animent un kaléidoscope infini appréhendé par mon individualité pour rendre compte de quelque chose qui lui préexiste. Quand je regarde une fleur d’amandier sous la neige, je sais que la poésie existe sans mots, mon regard et mon émotion en captent l’absolu bien avant ma réflexion et ma mise en texte.
René Char disait : "L’impossible nous ne l’atteignons pas, il nous sert de lanterne", si je remplace "impossible" par "poésie" (La poésie nous ne l’atteignons pas, elle nous sert de lanterne), la phrase illustre le sens de mon parcours poétique.
Ma démarche engage donc émotion, travail et rigueur, pour une œuvre que je souhaite au service de la poésie et non le contraire.
Je crois qu’un texte est fini quand il atteint le maximum de ce que je suis capable de lui demander et de lui donner. Ce n’est pas la perfection, puisqu’elle n’existe pas, mais c’est ma perfection du moment, le point culminant possible du texte et de son auteur. "La perfection n’existe pas, seul le chemin vers elle, existe", ai-je écrit dans un de mes recueils.
Et puis, le trait de génie n’étant jamais qu’accident et fulgurance (c’est d’ailleurs pour cela qu’on l’appelle "trait"), la globalité du parcours d’écriture me paraît ne pouvoir faire l’économie du mélange inspiration/travail duquel va naître la "patte d’écriture" qui elle, se doit de chercher sans cesse le meilleur d’elle-même.
Je crois que l’écriture, comme tout art, devrait échapper, en première instance, aux jeux et enjeux des constructions mentales et intellectuelles. La poésie n’a besoin d’aucun embellissement car la lumière n’a pas besoin d’être illuminée ; mais on peut la révéler au moyen d’une identité. L’écriture est un vortex.
J’aime à penser que créer est une respiration à portée visionnaire se nourrissant d’une source infinie et élargissant l’incarnation de son auteur et celle de son lecteur.
Colette disait : "Il faut avec les mots de tout le monde, écrire comme personne".
Dans le collectif où il évolue, le poète est unique, c’est cette unicité qui doit ouvrir fenêtres sur.
Ile Eniger