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L’été provençal brunit ses écorces. Des poings de chaleur martèlent les volets clos. L'été bat son plein puissamment. Le silence des campagnes s’étourdit de charivari d'oiseaux, de crincrins de cigales, de courses de ruisseaux. Chats et hulottes sont gardiens des repos. Dès le matin, un soleil prévisible tire ses cartouches de ball-trap. Des heures de plâtre tombent des clochers. Une constante explose le mercure. L’asphalte suinte. Les sentiers poussièrent. Un feu de coquelicots attise les blés. Des rousseurs débordent les talus. La nuit, dans la géométrie des arbres, des frondes de lucioles éclairent un foisonnement plus fort que le fracas des hommes. L'exubérante saison saisit l’espace. Aucun grillage n'enclave la route des herbes. Au cœur de la chaleur, tout vient de loin. Tout va.
Ile Eniger - Le monastère de l'instant - Éditions Chemins de Plume
Plus rien. Plus de mots, plus d'amis, plus d'en-vie, que la grande Absence de ceux aimés partis pour l'inconnu. Qui m'ont laissée seule dans ce jour après jour de questions, de survie. Au plus près du rien, tout se dérobe loin, expressions variées qui font illusion. Je suis l'enfant trahi par le conte, l'animal abandonné, la femme lasse, l'assiette vide, le blé sans espoir, l'homme debout qui ne sait plus pourquoi. Et sur la terre sèche, mon ombre traverse les heures où d'autres s'agitent quand je suis statufiée. Mes mots taiseux ne comprennent plus, ne luttent plus, ne rient plus, ne prient plus, ne s'élancent plus. Inutiles, ils s'interrogent sur le sens et la place.
Ile Eniger - L'ordinaire des anges - (à paraître)
Dimanche est comme j'aime, à la messe des arbres. Une débauche d'odeurs épice les heures. Le paysan a posé sa gourde d'eau et son repas frugal sur le talus. Au seuil d'une porte ouverte, un chat s'applique à sa toilette. Des figues aux joues charnues et mauves engrangent le soleil. Demain arrive dans la trace d'hier et aujourd'hui s'emplit tranquillement, sans y penser. Des rires d'enfants rejoignent l'égoïne des cigales. Des pailles brûlées parlent encore des blés. L'entêtement des lavandes enivre les abeilles. La poussière des pierres fait soif dans la gorge des herbes. On ferme les volets au gros de la journée et les maisons respirent des moiteurs de sous-bois. Des courants d'air marient le sombre et la lumière. L'été bombe le torse, ses bras chargés de fruits. Les façades réverbèrent. Aucune rentrée des classes ne profile ses murs gris. Quelque chose de puissant dispense l'insouciance. Juillet vide ses poches, étale ses richesses, ce serait bien le diable si on n'y trouvait pas une pépite de joie.
Ile Eniger - Le monastère de l'instant - Éditions Chemins de Plume
Elle laisse derrière elle le vécu, les années bien remplies. Elle entre dans le texte par le chemin léger d'adolescence. Elle porte au regard ce ciel puissant des étés en Provence. Les vignes de son enfance, les murs de pierre, les haies de cyprès, l'intact décor de son village et un rêve fou, l'accompagnent. À l'angle d'une maison qu'elle connaît bien, elle s'assoit, la touffeur sèche de juillet lui tient compagnie. Elle reconnaît l'odeur de la campagne environnante, le quotidien qui célèbre son cours. Des bruissements de voix lui parviennent, la bande d'amis festifs, joyeux, n'est pas très loin. Le cœur s'emballe. Elle sait une main sur la sienne, une voiture, neuve et rouge comme son rêve, un baiser attendu, jamais volé, le secret d'un prénom jamais oublié, les rires, les espoirs, l'amie d'enfance si présente, les demains à inventer. Une insouciance. Quelque chose la saisit dont elle sait l'empreinte. Soudain elle a quinze ans et le vertige. Les chants, les fêtes, les joies, les yeux, les gestes, les vies élançant leur jeunesse, qui s'en souvient encore aujourd'hui ? Que fait-elle seule au milieu des phrases à croire qu'elle n'y est pas seule ? Que fait-elle, ici, à rêver encore, plus haut que la raison ? Un Mistral se lève, il bouscule les images, les oiseaux se taisent, il est temps de rentrer. Elle voudrait dire encore, plus, mieux. Elle ne dira pas. Maladroite, elle quitte le texte sur la pointe des mots, un rêve timide en sa dernière ligne.
Ile Eniger - L'ordinaire des anges - (à paraître)
"N'allez pas là où le chemin peut mener,
allez là où il n'y a pas de chemin
et laissez une trace"
Ralph Waldo Emerson
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Bandeau Pages écrites : Jardin au Québec - Photo Ile Eniger
Description Littérature : Jardin du Douzamont Le Thor - Photo Ile Eniger
À propos : Dessin Émile Bellet
"Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n'empêcheront pas le printemps"
Neruda